L’onde de choc de la résurgence réactionnaire de ces deux dernières années n’en finit pas. Les Ourses à plumes consacrent un article à ses conséquences et aux résistances qui s’organisent.
Ce dimanche 5 octobre, la « Manif pour tous » organise sa manifestation de rentrée.
Mobilisant largement ses réseaux, il s’agit pour ses militants de maintenir la pression qu’ils exercent sur le monde politique, majoritairement via les réseaux sociaux et les institutions chrétiennes.
Un gouvernement au chevet de l’extrême-droite
Cette pression a fait ses preuves : après avoir reculé sur l’éducation contre l’homophobie et le sexisme, le gouvernement a rétrogradé le Ministère des droits des femmes au rang de secrétariat d’Etat rattaché aux Affaires sociales. Aujourd’hui, Manuel Valls a affirmé – sans qu’on le lui demande – que la France lutterait contre la retranscription automatique des actes de naissance par GPA (gestation pour autrui), et que le gouvernement attendrait l’avis du Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) sur la PMA (procréation médicalement assistée) avant de statuer. Rappelons que le CCNE temporise sur le sujet depuis sa saisine il y a maintenant plus d’un an et demi.
Le Premier ministre en profite pour signaler que pour lui « la famille est un repère, un pôle de stabilité », donnant ainsi quelques gages de plus au camp des réactionnaires.
La mobilisation du mouvement LGBT
Pourtant, la « Manif pour tous » ne défend qu’un type bien précis de famille, celle avec un couple hétérosexuel de parents biologiques et des enfants bien conformes à leurs assignations de genre. Cette famille relève pourtant d’une minorité, si l’on tient compte de la part de familles monoparentales, recomposées, homoparentales.
C’est ce que veut démontrer AllOut dans une pétition et un rassemblement de « toutes les familles » ce même dimanche 5 octobre, de 11h à 14h Place de la République à Paris.
Cette réaction n’est pas la seule. Un témoignage paru hier sur Madmoizelle et intitulé « Ma mère est lesbienne et je vais très bien, merci » revient sur les idées reçues et sur l’homophobie ambiante.
Aujourd’hui paraît également dans Yagg un manifeste signé par 48 organisations et appelant à une « offensive » contre « les mouvements conservateurs et obscurantistes » autour de 3 axes : le travail parlementaire, la solidarité communautaire, et le développement des relations du mouvement LGBT avec les « organisations progressistes » (« partis, associations, syndicats, entreprises engagées… »).
Ce travail rejoint la campagne lancée par SOS Homophobie contre l’homophobie ordinaire. L’objectif de l’association est de rappeler l’omniprésence de l’homophobie et de toucher les publics qui recourent peu à sa ligne d’écoute : les jeunes, les femmes, les personnes trans*. Avec un spot bref et efficace, la campagne intitulée « Ne plus se taire » vise la libération de la parole et la visibilité des violences.
La centralité des enfants dans le discours homophobe et sexiste et les attaques contre l’école
Lors du débat pour le mariage, les opposants à l’égalité des droits ont vite réalisé que les arguments contre l’adoption obtenaient davantage d’écho que ceux sur l’institution du mariage elle-même. La mise en avant de l’intérêt supérieur de l’enfant contre les projets de parentalité des personnes LGBT a été construite en mettant en cause les compétences parentales de ces dernières, en opposant l’accès à l’adoption pour les LGBT et pour les couples hétéros, et en agitant la menace du « trouble dans le genre » que les enfants éprouveraient sans nul doute à être élevé-e-s par des couples non-mixtes.
C’est toujours sur cette vague que surfent les homophobes, avec leur « An II que constituent les attaques contre les programmes de lutte contre les discriminations dans l’Education nationale, regroupés sous le terme fantaisiste de » théorie du genre ». (A ce sujet, voir l’excellent Tumblr parodique La future manif pour tous)
Après la Journée de retrait de l’école de l’année dernière, les groupes de « vigilance anti-gender » lancés par la « Manif pour tous » ont été rejoints par une association de parents d’élèves fondée par Farida Belgoul et intitulée sobrement « Fédération autonome des parents engagés et courageux » (FAPEC). Sans encourager à provoquer du trafic sur son site, il est à noter que celui-ci contient des titres effectivement « courageux » tels que « La Russie soutient Farida Belgoul » ou « L’ABCD de la complémentarité de la FAPEC » , dont le premier volet s’intitule « Opération Contes traditionnels »… tout un programme.
Par ailleurs, la valorisation par Belgoul de l’école à domicile se double d’un enjeu économique, comme l’explique très bien Albert Herszkowicz dans Contre l’égalité: les enjeux commerciaux de Farida Belghoul.
On le voit, l’axe de la protection de l’enfance est avant tout un choix discursif, un « élément de langage », comme on dit en communication politique, et même… un créneau marketing.
L’amour des enfants, contre les enfants ?
Pourtant, cette référence systématique au bien des enfants repose sur une vision hétéronormative de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle. C’est supposer que par défaut, par nature, les enfants seraient tou-te-s cisgenres et hétérosexuel-le-s. C’est ce que rappelait déjà Beatriz Preciado l’an dernier dans l’excellent texte « Qui défend l’enfant queer ? » et ce que Nils Muižnieks, le commissaire aux Droits de l’Homme au Conseil de l’Europe, a expliqué à son tour hier dans un texte paru sur son site : Les enfants LGBTI ont droit à la sécurité et à l’égalité.
Car c’est bien contre les intérêts des enfants et adolescent-e-s LGBT (dont le taux de suicide est au moins 4 fois supérieur à la moyenne nationale) que les associations de familles catholiques ont obtenu temporairement le retrait de l’agrément de SOS Homophobie en décembre 2012, et s’attaquent maintenant, via le Conseil d’Etat, à l’agrément de la ligne Azur.
La banalisation des violences fascistes : de Clément à Lucie
Mais si les discours et mobilisations de l’extrême-droite autour des questions de genre se sont centrés sur les enfants, ils ont ouvert une fenêtre pour faire passer toute une série de sujets plus traditionnels, et ont permis de respectabiliser les mouvements les plus violents et les plus réactionnaires. L’indulgence médiatique et sa complaisance envers ces militant-e-s qui assuraient des débats enflammés comme on les aime au 20h, a permis aux militant-e-s de base d’acquérir visibilité et confiance.
Cela s’est traduit par une aisance à afficher ses convictions, à grand renfort de t-shirts, sweats, ou collages ; mais aussi par une assurance à aller à la confrontation.
Ainsi, le nombre de témoignages d’agressions a augmenté de 140% entre 2011 et 2013, passant de 1397 à 3360 cas, soit en moyenne 9 agressions par jour. Les agressions spécifiquement physiques ont augmenté de 54%, et sont le plus souvent le fait d’inconnu-e-s, dans des lieux publics (Source : SOS Homophobie).
C’est bien ce contexte qui a permis à Esteban Morillo d’assassiner Clément Méric l’an dernier. C’est encore ce contexte qui engendre une multiplication des menaces et agressions de militantes, en particulier celles à caractère sexuel.
C’est le cas de Lucie, militante antifa, violée comme telle par un fasciste le 9 août 2013 et pour laquelle une mobilisation vient d’être lancée. Le prochain rendez-vous de solidarité sera le samedi 11 octobre, à 15h à Ménilmontant, à Paris.
Alors que le Collectif contre le harcèlement de rue a réagi aux dérives racistes qui instrumentalisent cette question, (cf notre article sur le sujet), rappelons que les agressions physiques et sexuelles contre les femmes, les LGBT, les militant-e-s, sont bien un outil, une arme politique, pour nous réduire au silence et à la honte. Et que c’est bien ces militants d’extrême-droite qui constituent le véritable danger.
Dans ce contexte, l’Existrans s’impose comme une date permettant au mouvement LGBT de marquer sa présence dans la rue, le 18 octobre à 14h à Stalingrad, à Paris.
Ce sera également le cas du 25 novembre, journée contre les violences faites aux femmes, qui constituera une échéance importante pour le mouvement féministe. Le Collectif National des Droits des Femmes (CNDF) propose enfin une nouvelle date, spécifiquement contre les attaques réactionnaires, à déterminer d’ici au 8 mars. En attendant, un jour, une jonction nécessaire entre les deux mouvements contre l’offensive sur les questions de genre.